Récemment, le Baromètre France Num 2023 a été dévoilé. Annuellement publié par la Direction générale des entreprises, ce rapport vise à évaluer les changements dans la perception et les pratiques liées au numérique au sein des TPE/PME françaises. Notons que cette nouvelle édition intègre deux nouvelles thématiques, et qui font désormais partie des priorités du Gouvernement : le numérique durable, ainsi que l’utilisation des données et de l’intelligence artificielle (IA). Effectivement, l’année 2023 a été une période particulièrement intéressante en termes d’innovations numériques. Aussi, il est justifié de nous demander si de nouvelles ruptures auront lieu en 2024, et plus largement que nous réserve l’innovation technologique pour 2024 ?
Convergence phygitale
L’entrelacement croissant du réel et du numérique redéfinit notre existence. Les technologies telles que la réalité augmentée, la réalité virtuelle et l’internet immersif effacent les frontières entre le monde physique et les espaces numériques, où nous évoluons de plus en plus en tant qu’avatars numériques. Que ce soit dans le travail, avec la collaboration à distance ou dans le domaine des jeux en ligne et des sports électroniques, la frontière entre notre présence physique et virtuelle s’amenuise.
De même les réseaux sociaux créent des espaces virtuels où nous partageons des fragments filtrés de notre vie, façonnant ainsi nos personnalités numériques, notre “moi virtuel”. Dernièrement, META (Facebook pour les boomer) a même poussé à l’extrême le concept avec le tant controversé Metaverse, fusionnant réseau social et réalité virtuelle.
Ainsi, le concept de jumeau numérique émerge dans tous les secteurs, représentant virtuellement des objets, des systèmes ou des processus du monde réel. Basé sur des données capturées dans le monde réel, le jumeau numérique étend son influence, de simples composants à des écosystèmes entiers.
En 2024, la frontière entre le monde réel et virtuel s’estompera davantage, rendant le numérique plus réaliste et le réel aussi flexible que le numérique. Ce phénomène vise à transformer la manière dont nous interagissons avec le monde, que ce soit dans le domaine social, industriel ou médical. En effet, la capacité des jumeaux numériques à accompagner la prise de décision des acteurs de terrain sur la base de scenarios variés ouvre de nombreuses applications, dans de multiples domaines : médecine, patrimoine, urbanisme, ingénierie, environnement, climat…
Toutefois, les technologies de jumeaux numériques et de réalité étendue ne sont que des moyens applicatifs. Il est donc encore nécessaire de développer et mettre en place les bons usages. A titre d’exemple, le CNRS a ouvert un appel à projet sur cette thématique dont le but est effectivement de « de soutenir des projets relatifs aux nouvelles frontières méthodologiques d’une recherche interdisciplinaire basée sur le développement de jumeaux numériques ».
Informatique quantique
Aujourd’hui, le potentiel d’usage des jumeaux numériques ne semble être limité que par la puissance de calcul. S’agissant de modéliser virtuellement des objets, des systèmes ou des processus du monde réel, la puissance informatique nécessaire est exponentiellement proportionnelle à la complexité de l’objet à virtualiser.
Le projet Européen Destination Terre en est un exemple parlant. Destination Earth (DestinE), initiative phare de la Commission européenne pour un avenir durable, a pour objectif de développer un jumeau numérique de la Terre. Ce modèle aurait de nombreux applicatifs tels que la simulation haute précision et la prédiction de phénomènes climatiques. Pour ce faire, DestinE sera alimenté par les ordinateurs HPC européens. En effet, traiter de telles masses de données représente un challenge technologique et industriel. Le projet EuroHPC est une initiative de la Commission qui vise à doter l’Europe de nombreux centres de calcul intensif, financés à hauteur de 8 milliards d’euro, et capables d’opérer plus d’un milliard de milliards d’opérations par seconde.
La thématique des jumeaux numérique est donc étroitement liée à la course aux supercalculateur et à l’informatique quantique. En effet, l’informatique quantique suscite un intérêt croissant et 2024 pourrait marquer la transition vers des avantages tangibles. Les ordinateurs quantiques exploitent des phénomènes de la physique quantique, tels que l’intrication et la superposition, leur permettant de traiter simultanément de nombreux calculs avec des bits quantiques (qubits) pouvant exister dans plusieurs états. Les premiers investisseurs, notamment des banques et des organisations financières, visent à améliorer les systèmes d’intelligence artificielle pour la détection de fraudes, la gestion des risques et la négociation à haute fréquence.
En 2024, les avantages de l’informatique quantique devraient se manifester dans des domaines nécessitant des calculs intensifs, tels que la découverte de médicaments, le séquençage du génome, la cryptographie, la météorologie, la science des matériaux, l’optimisation des systèmes complexes comme la circulation urbaine, et même la recherche de vie extraterrestre. Ces applications offrent un potentiel considérable pour résoudre des problèmes critiques, tant pour notre planète que pour notre compréhension de l’univers. Les percées à venir grâce à l’informatique quantique suscitent l’anticipation de découvertes majeures dans un avenir proche.
A ce titre, IBM va ouvrir un Data Center Quantique en Europe en 2024. Notons également qu’IBM a vendu courant 2023 le premier ordinateur quantique entièrement dédié à la recherche médicale. Nous pouvons donc nous attendre d’ici 2024 à des progrès significatifs dans différents domaines, grâce à l’informatique quantique.
La cyber-résilience
Pour certains, les avancées en informatique quantique pourraient ne pas avoir que des impacts positifs sur notre époque. En effet, depuis quelques années est né le terme « d’apocalypse quantique ». Alors que cette « apocalypse » ne devait se produire que dans 20 ans, un récente prouesse de chercheurs chinois bouleverse toutes les prévisions. Cette catastrophe pourrait finalement se produire dès 2024… En janvier 2023, une équipe de chercheurs chinois annonçait effectivement avoir craqué le principal algorithme de chiffrement actuel (RSA) à l’aide d’un ordinateur quantique. Face à cette avancée, les experts redoutent désormais l’imminence de cette « apocalypse quantique » qui rendrait obsolètes toutes les technologies de chiffrement utilisées à l’heure actuelle. Pour plus d’informations à ce sujet nous vous renvoyons à un article de la revue spécialisée LeBigData.
Plus globalement, la recherche indique qu’une entreprise sur deux a subi une cyberattaque réussie au cours des trois dernières années, prévoyant que le coût global de ces attaques atteindra plus de 10.000 milliards de dollars d’ici la fin de 2024 (lien). Face à cette menace croissante, les solutions technologiques pour renforcer les défenses occupent une place cruciale dans les priorités de chaque organisation.
La cyber-résilience va au-delà de la cybersécurité, englobant également les mesures de récupération et de continuité face à des violations de défenses ou des circonstances indépendantes de la volonté. Cela inclut la mise en place de procédures de travail à distance, une solution technologique parfois non associée traditionnellement à la cybersécurité.
Les éléments clés de la cyber-résilience comprennent l’automatisation de la cyberdéfense grâce à l’IA et à l’apprentissage automatique, l’intégration de mesures de sécurité avec des protocoles de continuité, et la sensibilisation aux facteurs sociétaux, couvrant des attaques d’ingénierie sociale à la gestion des crises de relations publiques. En 2024, la sophistication croissante des cybermenaces et la compétition intense pour des solutions innovantes, notamment basées sur l’IA, confirment que la cyber-résilience restera une tendance majeure dans les entreprises et les technologies grand public.
L’IA générative : l’automatisation au quotidien
En particulier, en 2023, c’est une branche spécifique de l’IA qui a émergé : l’IA générative, préparant le terrain pour une année 2024 où sa puissance et son utilité seront pleinement révélées. Actuellement associée à des appréhensions, l’IA générative, intégrée dans nos applications quotidiennes, offre un potentiel transformateur. Elle fonctionne comme un assistant personnel intelligent, améliorant l’efficacité et la productivité en automatisant les tâches répétitives, libérant ainsi du temps pour développer nos compétences humaines.
Le véritable avantage réside dans la possibilité de consacrer plus de temps à la créativité, à l’exploration d’idées nouvelles et à une pensée originale. Malgré des défis éthiques et réglementaires persistants, 2024 marquera probablement la compréhension généralisée de la transformation majeure apportée par l’IA générative. Ainsi, le génie est désormais hors de la bouteille, prêt à redéfinir positivement nos interactions avec la technologie. L’année à venir représente une opportunité cruciale pour dépasser les craintes initiales et embrasser pleinement un futur où l’IA générative enrichit nos vies en nous libérant des tâches monotones et en favorisant notre créativité.
Notons qu’en octobre dernier Forrester a publié une étude très intéressante, donnant leurs prédictions sur l’intelligence artificielle pour 2024 (Goetz, M., 2023, 6 octobre).
Technologie durable
Enfin, que les prochaines innovations technologiques 2024 s’appuient sur les jumeaux numériques, sur la réalité étendu, sur l’informatique quantique, l’IA, etc., en 2024, les technologies durables resteront au premier plan, avec des pays et des entreprises cherchant à respecter leurs engagements en matière d’émissions nettes zéro.
Les véhicules électriques, les vélos et les transports publics gagneront en popularité, tandis que de nouvelles solutions environnementales telles que le captage et le stockage du carbone ainsi que les technologies d’énergie verte se développeront.
Dans ce contexte la technologie aura un rôle central pour réduire leur impact environnemental personnel. A ce propos il ne fait aucun doute que les technologies précitées de jumeaux numériques, de réalité étendu, d’informatique quantique et d’IA seront très certainement mises à profit (comme le projet DestinE).
Paradoxalement, l’économie circulaire prendra de l’importance, intégrant la durabilité, la recyclabilité et la réutilisation dès la conception des produits. Des concepts comme le Green cloud computing émergeront, mettant l’accent sur la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de carbone.
Les défis pour les technologies durables incluront notamment un enjeu de taille : le développement de méthodes éthiques et responsables pour la production et l’approvisionnement des matériaux, en particulier des terres rares. En effet, paradoxalement, les nouvelles technologies du numérique qui seront des outils nécessaires à la réduction du changement climatique, posent aujourd’hui encore des problématiques sérieuses quant à leur impact sur l’environnement.
Il est donc fort probable qu’avant tout, le grand défi pour 2024 sera d’arriver à concilier les défis de la transition numérique avec ceux de la transition énergétique !
Références et sources
https://www.itforbusiness.fr/ibm-va-ouvrir-un-data-center-quantique-en-europe-en-2024-63791
https://www.mckinsey.com/featured-insights/mckinsey-explainers/what-is-cybersecurity
https://www.forrester.com/report/predictions-2024-artificial-intelligence/RES179939