Le Conseil d’État versus l’esprit de la loi

Une décision du Conseil d’État est invoquée par certains acteurs du conseil fiscal pour remettre en cause le retraitement de certaines subventions publiques de l’assiette du Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Conseil d'État versus l'esprit de la loi, décryptage du risque d'une interprétation opportuniste.
Conseil d'État versus l'esprit de la loi
Actualités
18 décembre 2025

CIR et subventions publiques : une lecture juridique à manier avec prudence

En cette fin d’année 2025 et depuis plusieurs mois, une décision du Conseil d’État est invoquée par certains acteurs du conseil fiscal pour remettre en cause le retraitement des subventions publiques de l’assiette du Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Cette lecture, bien que juridiquement argumentée, appelle selon nous une extrême prudence, tant au regard des textes applicables que de l’intention constante du législateur.

Le principe posé par la loi : une règle claire

Le cadre légal du CIR est explicite.
L’article 244 quater B du Code général des impôts dispose que :

« Les subventions publiques reçues pour la réalisation d’opérations ouvrant droit au crédit d’impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit d’impôt. »

Ce principe est repris et précisé de manière constante par l’administration fiscale dans sa doctrine, notamment au BOFiP (BOI-BIC-RICI-10-10-30-20), qui rappelle que doivent être déduites de l’assiette du CIR toutes les aides publiques, quelle que soit leur forme, dès lors qu’elles financent des dépenses de R&D éligibles.

La logique sous-jacente est cohérente : éviter un double avantage fiscal consistant à bénéficier à la fois d’un financement public direct et d’un avantage fiscal calculé sur les mêmes dépenses.

Cette logique est toutefois fragilisée par 2 éléments :

  • Le conseil d’état, qui sur une décision de 2023 a tenté de poser une définition de la « subvention publique ».
  • L’adoption en février 2025 du projet de loi de finance pour 2025, qui élargi la définition des subventions publiques : « les subventions publiques s’entendent des aides versées par les personnes morales de droit public et les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public »

La décision du Conseil d’État : un raisonnement strictement juridique

La décision du Conseil d’État récemment mise en avant repose sur une interprétation restrictive de la notion de “subvention publique”, en s’interrogeant sur la qualité de l’organisme financeur et sur sa nature juridique.

Extrait de la décision (Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 12/07/2023, 463363)[1]:

« 4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu’en jugeant que devait être regardée comme constituant une  » subvention publique  » au sens de ces dispositions, toute aide versée en vue ou en contrepartie d’un projet de recherche, provenant de l’utilisation de ressources perçues à titre obligatoire et sans contrepartie, que ces aides soient versées par une autorité administrative ou un organisme privé investi d’une mission de service public, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’institut technologique FCBA est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant qu’il statue sur les aides versées par France bois forêt. »

De cette décision, nous pouvons extraire que les aides par des entités privées chargées d’une mission publique pourraient ne pas entrer systématiquement dans le champ des subventions publiques à déduire du CIR.

Cette lecture repose sur un raisonnement formel, détaché de la finalité économique et fiscale du dispositif.

Le projet de loi de finance 2025 introduit une précision supplémentaire, avec une définition de « subvention publique » revue :

Extrait PLF 2025 (article 58)[2]
« I.-A la première phrase du premier alinéa du III de l’article 244 quater B du code général des impôts, après le mot : « publiques », sont insérés les mots : «, qui s’entendent des aides versées par les personnes morales de droit public ou par les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, ».
II.-Le I s’applique aux dépenses de recherche exposées à compter du lendemain de la promulgation de la présente loi. »

La décision du CE de 2023, qui réfute qu’une aide versée par un organisme privé soit considérée comme « subvention publique », et la nouvelle définition de « subvention publique » posée sur la Loi de Finance 2025, ouvre une interprétation, à savoir :

  • CIR 2024 et antérieur : une subvention d’un organisme privé chargé d’une mission publique pourrait ne pas être déductible du CIR/CII
  • CIR 2025 et ultérieur : la précision est donnée, que l’organisme soit de droit public ou privé chargé d’une mission de service public, la déduction de l’aide sur le CIR/CII est obligatoire.

Une interprétation en tension avec l’esprit du dispositif

Si le raisonnement peut paraître juridiquement défendable dans un cadre contentieux précis, il est en contradiction avec l’esprit de la loi, qui vise clairement à neutraliser l’effet cumulatif des aides publiques et du CIR.

L’administration fiscale n’a, à ce jour, pas modifié sa doctrine pour intégrer cette interprétation extensive. Au contraire, la Loi de Finances pour 2025 est venue sécuriser explicitement la règle de déduction des aides et subventions pour l’avenir, confirmant ainsi l’intention du législateur.

Dès lors, s’engager dans une non-déduction ou dans des rectifications de CIR sur cette base, pour les années 2024 et antérieures, revient à exploiter une zone de flou juridique, sans garantie de sécurité fiscale pour les entreprises.

Un risque fiscal réel pour les entreprises

Il convient de rappeler qu’une telle position :

  • Augmente significativement le risque de contrôle fiscal,
  • Expose à des redressements potentiellement lourds (reprise du CIR, intérêts de retard, pénalités),
  • Mobilise du temps et des ressources sur des procédures longues (souvent 1 à 3 ans).

Plusieurs acteurs du marché reconnaissent eux-mêmes le caractère incertain de cette approche, parfois limitée à des démarches « pilotes » ou expérimentales.

Conclusion

En l’état actuel des textes, de la doctrine administrative et de l’intention clairement réaffirmée du législateur, il serait juridiquement possible mais fiscalement risqué de ne pas déduire certaines aides publiques — notamment celles émanant de Bpifrance, acteur privé chargé d’une mission publique — de l’assiette du CIR pour des années non prescrites.

Notre position est constante :

Chez OXINO, nous faisons le choix de défendre la sécurité fiscale, la continuité et la pérennité d’un dispositif qui se veut à la fois structurant et vertueux pour les entreprises.

Le Crédit d’Impôt Recherche n’est pas un mécanisme d’optimisation ponctuelle ni un levier d’arbitrage opportuniste. Il constitue un outil central de la politique publique de soutien à l’innovation, fondé sur un équilibre clair entre financement direct, avantage fiscal et encadrement juridique.

À ce titre, nous considérons que privilégier des interprétations isolées, juridiquement fragiles et détachées de l’esprit du législateur, dans une logique essentiellement économique et court-termiste, expose inutilement les entreprises à des risques fiscaux significatifs et contribue à fragiliser le dispositif dans son ensemble.

Notre rôle de conseil est d’accompagner nos clients dans une démarche responsable et durable, en sécurisant leurs pratiques au regard des textes, de la doctrine administrative et de l’intention constante du législateur, afin de préserver la crédibilité et la stabilité du CIR sur le long terme.


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047824769

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051168007

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